L'ANTRE DE LA SORCIERE
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 re, le cadeau a falalire

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bullit




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MessageSujet: re, le cadeau a falalire   re, le cadeau a falalire Icon_minitimeMer 28 Nov - 14:54

je vous avais parlé dans mon message précédent , de ce grand roman qu'est '' le grand troupeau '' et d'une alternance entre l'hymne a la terre et la haine de la guerre ,alors , pour remercier les participants , et aussi pour me faire plaisir , je vous en donne un deuxieme extrait , dans cet extrait , giono fait référence a une fameuse bataille , tristement célebre, la bataille du chemin des dames , comment peut on écrire comme ça ?tout simplement parceque giono y a participé , on retrouve ici toute la force d'un temoin de l'horreur , on ne peut décrire que s'il on a vecu , avec des mots forts , un realisme exacerbé .
des passages de cet extrait sont parfois insoutenables

bullit ( commentaires )


Il y avait toujours une trève du petit matin, à l'heure où la terre sue sa fumée naturelle. La rosée brillait sur la capote des morts. Le vent de l'aube, léger et vert, s'en allait droit devant lui. Des bêtes d'eau pataugeaient au fond des trous d'obus. Des rats, aux yeux rouges marchaient doucement le long de la tranchée. On avait enlevé de là-dessus toute la vie, sauf celle des rats et des vers. Il n'y avait plus d'arbres et plus d'herbe, plus de grands sillons, et les coteaux n'étaient que des os de craie, tout decharnés. Ça fumait doucement quand même du brouillard dans le matin.
On entendait passer le silence avec son petit crépitement électrique. Les morts avaient la figure dans la boue, ou bien ils émergeaient des trous, paisibles, les mains posées sur le rebord, la tête couchée sur le bras. Les rats venaient les renifler. Ils sautaient d'un mort à l'autre. Ils choisissaient d'abord les jeunes sans barbe sur les joues. Ils reniflaient la joue puis ils se mettaient en boule et ils commençaient à manger cette chair d'entre le nez et la bouche, puis le bord des lèvres, puis la pomme verte de la joue. De temps en temps ils se passaient la patte dans les moustaches pour se faire propres. Pour les yeux, ils les sortaient à petits coups de griffes, et ils léchaient le trou des paupières, puis ils mordaient dans l'oeil, comme dans un petit oeuf, et ils le mâchaient doucement, la bouche de côté en humant le jus.
Quand l'aube n'était pas encore bien debarrassée, les corbeaux arrivaient à larges coups d'ailes tranquilles. Ils cherchaient le long des pistes et des chemins les gros chevaux renversés. A côte de ces chevaux, aux ventres eclatés comme des fleurs de caprier, des voitures et des canons culbutés mêlaient la ferraille et le pain, la viande de ravitaillement encore entortillée dans son pansement de gaze et les baguettes jaunes de la poudre à canon.
Ils s'en allaient aussi sur leurs ailes noires jusqu'au carrefour des petits boyaux, à l'endroit où il fallait sortir pour traverser la route. Là, toutes les corvées de la nuit laissaient des hommes. Ils étaient étendus, le seau de la soupe renversé dans leurs jambes, dans un mortier de sang et de vin. Le pain même qu'ils portaient était crevé des dechirures du fer et des balles, et on voyait sa mie humide et rouge gonflée du jus de l'homme comme des bouts de miche qu'on trempe dans le vin pour se faire bon estomac au temps des moissons. Les corbeaux mangeaient au pain et en même temps ils le vendangeaient de leurs griffes en sautant d'une patte sur l'autre. De là ils s'en venaient jusqu'à pousser de la tête le casque du mort. C'etaient des morts frais, des fois tièdes et juste un peu blêmes. Le corbeau poussait le casque; parfois, quand le mort était mal placé et qu'il mordait la terre à pleine bouche, le corbeau tirait sur les cheveux et sur la barbe tant qu'il n'avait pas mis à l'air cette partie du cou où est le partage de la barbe et du poil de poitrine. C'etait là tendre et tout frais, le sang rouge y faisait encore la petite boule. Ils se mettaient à becqueter là, tout de suite, à arracher cette peau, puis ils mangeaient gravement en criant de temps en temps pour appeler les femelles.
Les morts bougeaient. Les nerfs se tendaient dans la raideur des chairs pourries et un bras se levait lentement dans l'aube. Il restait là, dressant vers le ciel sa main noire toute epanouie; les ventres trop gonflés éclataient et l'homme se tordait dans la terre, tremblant de toutes ses ficelles relachées. Il reprenait une parcelle de vie. Il ondulait des épaules comme dans sa marche d'avant. Il ondulait des épaules, comme à son habitude d'avant quand sa femme le reconnaissait au milieu des autres, à sa façon de marcher. Et les rats s'en allaient de lui. Mais, ça n'etait plus son esprit de vie qui faisait onduler ses épaules, seulement la mecanique de la mort, et au bout d'un peu, il retombait immobile dans la boue. Alors les rats revenaient.
La terre meme s'essayait à des gestes moins lents avec sa grande pâture de fumier. Elle palpitait comme un lait qui va bouillir. Le monde, trop engraissé de chair et de sang, haletait dans sa grande force. Au milieu des grosses vagues du bouleversement, une vague vivante se gonflait; puis, l'apostume se fendait comme une croûte de pain. Cela venait de ces poches où tant d'hommes etaient enfouis. La pâte de chair, de drap, de cuir, de sang et d'os levait. La force de la pourriture faisait eclater l'écorce. Et les mères corbeaux claquaient du bec avec inquiétude dans les nids de draps verts et bleus, et les rats dressaient les oreilles dans leurs trous achaudis de cheveux et de barbes d'hommes. De grosses boules de vers gras et blancs roulaient dans l'éboulement des talus.
En même temps que le jour, montait des au-delà du desert le roulement sourd d'un grand charroi. C'etaient ces fleuves d'hommes, de chars, de canons, de camions, de charrettes qui clapotaient là-bas dans le creux des coteaux : les grands chargements de viande, la nourriture de la terre.
Mais le jour traînait longtemps avant de monter. D'abord, de l'horizon dechiré, un liseré de lumière dépassait, puis un feu pâle glissait entre les nuages, coulait comme de l'eau, dans les détours des tranchées. C'etait tout. Ça se diluait dans le vaste espace du ciel et de la terre, et ça restait, comme ça, couleur de vieille paille grise. C'etait le jour.

jean giono

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