je trimballai avec moi ce texte depuis pas mal d'années ,il est l'oeuvre d'un .....( je ne sais pas comment l'appeler ). ayant quitté l'adolescence , j'achetai souvent sa revue , interdite parfois ( hara kiri ) , dans ce texte ,georges bernier ( alias professeur choron ) quitte son habit de méchanceté et atténue son cynisme , pour en ce qui me concerne , le plus grand bonnheur des lecteurs . le bougre ne savait pas faire seulement dans le betisier . je vous en fait profiter ici , un style dur , mais parfois une reconnaissance dramatique consensuelle .
les beaux dimanches
C'était la première fois que Jules portait Germaine. Germaine était aussi lourde qu'une vache. La nuit tombait. Jules titubait sous l'énorme fardeau. Chaque pas arraché à la route était un exploit de souffrance.
Pourtant, Jules ne pouvait pas flancher : sa vie dépendait de ses forces. Il fallait qu'il continue à porter Germaine. Il fallait qu'il avance, et vite. Chaque seconde gagnée éloignait Jules de la guillotine.
Il avait tapé dur sur la Germaine, tout à l'heure. Plus fort que d'habitude, faut croire. Germaine n'avait pas l'air de vouloir se réveiller. Elle était bien capable d'en crever, et Jules serait guillotiné. D'y penser redonnait des forces à Jules. Encore peut-être mille pas et il pourrait déposer Germaine à l'hôpital du bourg. Germaine serait sauvée et Jules ne serait pas guillotiné.
Germaine reprenait conscience. Elle sentait maintenant les épaules de Jules s'enfoncer dans sa graisse. Germaine ouvrit un oeil. Elle sut que Jules la portait. Ce fumier-là va sûrement me balancer dans la rivère, pensa-t-elle. Germaine avait peur. Elle décida de ne pas bouger et d'attendre.
Elle n'attendit pas longtemps. Jules trébucha et s'étala sur la route. Germaine bondit, écrasa son énorme fessier sur la tête à Jules. Jules gigota des bras, Jules gigota des jambes, Jules mordit la route, mais Jules resta coincé. Germaine était contente : Jules ne pourrait plus la jeter dans la rivière.
Soudain, les fesses à Germaine ne sentirent plus la tête à Jules. Germaine se dessa, prête à la bagarre. Mais Jules ne voulait plus se battre : il était mort, tout à fait mort, sa tête aplatie comme un crêpe.
La nuit était maintenant bien noire. Germaine réflechissait. Elle se décida : elle découperait Jules en morceaux, puis elle transporterait les morceaux jusqu'à la ferme et les jetterait dans la fosse à purin. Elle ferait autant de voyages qu'il faudrait.
Germaine prit le couteau dans la poche de Jules. Elle trancha d'abord la tête, c'était facile, plate comme elle était. Elle glissa la crêpe dans son corsage, ce sera moins voyant et ça lui laisserait les mains libres.
Deux phares trouèrent la nuit. Une voiture ! La peur précipita Germaine dans le fossé. Elle y enfonça son gros corps collé sur le corps de Jules. Germaine entendit le moteur, maintenant tout près, puis le coup de frein. La voiture s'arrêtait ! Une portière claqua. Germaine n'osa pas regarder. Son coeur sautait sous la crêpe qui començait à refroidir. Des pas sonnèrent sur la route, foulèrent l'herbe du bas-côté. L'homme était là, au dessus d'elle... Le coeur de Germaine cogna, cogna, se tordit, cherchant une issue. Il grimpa dans sa gorge, dans sa tête... Le coeur de Germaine éclata. Germaine n'entendit pas l'homme s'en aller, Germaine n'entendit pas la voiture démarrer. L'homme ne sut jamais qu'il venait d'uriner sur des morts.
Georges Bernier
Sujet: les beaux dimanches 
Lun 26 Nov - 14:03